L’anthropomorphisme : rapport de notre relation à l’animal

24 avril 2023

 

Avez-vous déjà entendu parler d’ « anthropomorphisme » ? Un mot bien compliqué pour désigner quelque chose que nous faisons pourtant au quotidien et par automatisme.

 

L’anthropomorphisme, qu’est-ce que c’est ?

 

L’anthropomorphisme se définit comme une tendance à projeter sur un animal (ou un objet) des états mentaux, des désirs, des sentiments, des pensées humaines [1]. Autrement dit, c’est le fait d’accorder des caractéristiques humaines à nos animaux de compagnie, en leur attribuant des perceptions, des croyances, des intentions et des émotions [2,3].

Il nous permet de donner du sens au monde qui nous entoure [4]. Il est déterminé par notre motivation sociale et se manifeste donc essentiellement dans les interactions [2,3]. Dans notre quotidien, nous pouvons ainsi bénéficier socialement, émotionnellement, et physiquement de la relation que nous entretenons avec nos animaux [1].

Plus concrètement … Peut être avez-vous déjà pensé que minette faisait pipi sur votre lit pour « se venger » de vous, impitoyables humains, qui l’avez laissé seule tout un week-end ! Ou peut-être vous êtes vous déjà dit, en voyant Snoopy face à un coussin éventré, la queue rentrée entre les pattes, les oreilles baissées et détournant le regard : « il sait très bien qu’il a fait une bêtise, il a un air coupable ! ».

Eh bien la vengeance et la culpabilité, tout comme la jalousie, le manque ou le remord par exemple, impliquent des processus cognitifs complexes fondamentalement humains. D’un point de vue scientifique, rien ne prouve aujourd’hui leur existence chez nos animaux de compagnie. Il s’agit alors de ce qu’on appelle des « projections anthropomorphiques ».

Toutefois, il nous est difficile de penser aux animaux autrement que de cette manière [1]. Ce qui est tout à fait logique, puisque nous ne sommes pas des chiens ni des chats, mais bien des humains ! Nous réfléchissons et raisonnons donc comme tel.

Jusque là, tout va bien ! Mais voyons un peu le point de vue de nos petits compagnons …

 

Quel impact l’anthropomorphisme a-t-il sur nos animaux ?

 

L’anthropomorphisme : utilité et bénéfices

L’anthropomorphisme permet de rendre accessible à l’humain les comportements et les émotions des autres animaux [5]. Conférer des traits humains aux animaux nous permet de faire preuve d’empathie à leur égard. Ce qui nous amène également à nous questionner sur leur sensibilité.

De ce fait, les projections anthropomorphiques :

  • Sont nécessaires pour la prise en considération du bien-être animal [6]
  • Constituent un outil pratique pouvant servir de base en recherche scientifique (études comportementales et cognition) pour la compréhension des animaux [2,7]
  • Participent à l’évolution du statut moral et juridique de l’animal [8] (qui, rappelons le, était autrefois vu comme une machine par Descartes et décrit comme un « bien meuble » en droit civil)

Néanmoins, l’anthropomorphisme va s’exprimer à différents degrés [4] avec des répercussions plus ou moins importantes sur l’animal, tant positives (comme nous venons de le voir) que négatives. Là où les projections anthropomorphiques sont dérangeantes, c’est lorsqu’elles se font de manière inconsciente. Or, comme le souligne l’auteur et primatologue Frans de Waal, il s’agit du type d’anthropomorphisme le plus courant. Il est basé sur un manque d’information ou des espoirs, servant les intérêts et objectifs sociaux des humains [4].

 

Les dangers de l’anthropomorphisme

En considérant que notre chat / chien possède le même fonctionnement que nous, cela peut nous amener à faire des interprétations hâtives, souvent erronées, des comportements qu’ils vont exprimer. Et c’est là que ça peut devenir problématique ! On part du principe que nos animaux ont les mêmes besoins, la même logique, les mêmes capacités intellectuelles que l’être humain. Ce qui n’est évidemment pas le cas.

En effet, chaque espèce a ce qu’on appelle un monde propre, scientifiquement désigné sous la notion d’ « umwelt ». Nous vivons dans des mondes sensoriels différents. Notre perception du monde est donc différente de celle d’un chat ou d’un chien. Nous avons également des besoins, motivations et attentes qui ne sont pas les mêmes. Pourtant, nous avons tendance à leur imposer notre mode de vie, notre point de vue, notre jugement ou notre ressenti, sans prendre en compte leur perception individuelle. En ce sens, l’anthropomorphisme peut être à l’origine d’importantes altérations du bien-être chez nos animaux !

De plus, cela va nuire à la relation que nous entretenons avec notre chat ou notre chien.

Pour mieux vous l’illustrer, prenons pour exemple les moments caresses.

Ce que nous associons en tant qu’humains à des « bisous », une marque d’affection de la part de notre animal (lorsqu’il nous lèche la main / le visage), sont en réalité bien souvent des mises à distance marquant un inconfort dans l’interaction proposée. Ce n’est pas toujours le cas, mais pour le savoir il faut prendre en compte l’intégralité des signaux corporels envoyés par notre animal… Pas toujours évident si on ne connaît pas ces signaux et leur(s) signification(s) ! Nous allons vers la conclusion la plus facile et gratifiante pour nous.

Enfin, avec la répétition, les incompréhensions causées par l’anthropomorphisme sont susceptibles d’entrainer l’apparition de comportements dérangeants (tels que des conduites agressives ou des éliminations hors litière).

 

Minimiser l’impact négatif de l’anthropomorphisme

 

Comme évoqué précédemment, en tant qu’être humain, il est normal et naturel de faire de l’anthropomorphisme. Néanmoins, il faut que celui-ci reste nuancé pour ne pas porter préjudice à l’animal. Pour cela, en avoir conscience est primordial !

Il est nécessaire d’être conscient des différences et similitudes qu’il existe entre deux espèces, et de les prendre en compte autant que possible [4]. Prendre du recul, s’ajuster et s’adapter en permanence est important, et surtout de réfléchir sous une autre perspective : celle de notre chat ou notre chien.

Par conséquent, en apprenant à connaître votre animal, la façon de voir le monde et les besoins éthologiques de son espèce, vous pourrez mieux le comprendre et interagir avec lui. Vous éviterez les malentendus et les problèmes de communication. Votre poilu vous remerciera et votre relation n’en sera que meilleure !

Alors, n’hésitez pas à faire appel à un professionnel pour vous informer correctement ou être accompagné !

 

Références

 

[1] Serpell J.A. (2002). Anthropomorphism and anthropomorphic selection, beyond the « cute response ». Society & Animals, 10(4): 437-454.

[2] Epley N., Waytz A., Cacioppo J.T. (2007). On seeing human: A three-factor theory of anthropomorphism. Psychological Review, 114(4): 864,886.

[3] Airenti G. (2012). Aux origines de l’anthropomorphisme : Intersubjectivité et théorie de l’esprit. Gradhiva, 15 : 34-53.

[4] De Waal F.B.M. (1999). Anthropomorphism and anthropodenial: consistency in our thinking about humans and other animals. Philosophical Topics, 27(1): 255-280.

[5] Bekoff M. (2000). Animal emotions: exploring passionate natures. BioScience, 50(10): 861-870.

[6] Veissier I., Boissy A. (2000). Bien-être des animaux : projection anthropomorphique ou réalité biologique ? Rencontre des recherches autour des ruminants, 7 : 51-53.

[7] Wynne C.D.L. (2004). The perils of anthropomorphism, Consciousness should be ascribed to animals only with extreme caution. Nature, 428: 606.

[8] Barou E., Lavaux M. La place des animaux dans les procès : miroir de l’anthropomorphisme.