La dominance chez le chien : mythe ou réalité ?

30 octobre 2024

 

« Mon chien est dominant », « Mon chien veut me dominer », « Il faut que je devienne le chef de meute pour que mon chien m’obéisse et me respecte », « mon chien sait qui commande, avec moi il obéit, par contre avec les enfants il prend le dessus », etc. Des phrases comme ça, j’en entends très souvent (pour ne pas dire tout le temps) en consultation.

Mais qu’est-ce que cela implique et signifie réellement pour votre chien ? Je vous propose de voir tout ça ensemble plus en détail dans cet article !

 

Mon chien essaye t’il de me dominer ?

 

Qu’est-ce que la dominance ? 

 

En éthologie, la dominance est constituée par les interactions agonistiques (comportements visant à résoudre une rivalité) répétées entre deux individus et dont le résultat est toujours en faveur du même membre de la dyade. L’individu dominant va avoir un accès prioritaire à une ou plusieurs ressources (nourriture, lieux de repos, reproduction) par rapport à l’individu dominé.

La dominance s’observe au sein d’un groupe d’individus sociaux appartenant à la même espèce. Elle a pour but d’organiser le groupe, et ainsi favoriser sa cohésion et sa survie, en permettant d’éviter les conflits [6].

Bien que cette croyance soit répandue, dominance ne veut pas dire agressivité ! Au contraire, comme c’est le cas pour les loups et les chiens, les statuts de dominant et subordonné s’établissent et se maintiennent surtout via des signaux et postures lors des interactions sociales [1,4,7,8], plutôt qu’une escalade de confrontations. Il est aussi à noter que ces relations de dominance/subordination peuvent varier dans le temps, et dépendre également du contexte et/ou de la ressource.

De plus, la dominance n’est pas un trait de caractère mais bien un terme employé pour désigner un aspect de la relation entretenue pas deux individus [2,3]. Que ce soit d’un point de vue sémantique ou biologique, l’utiliser pour décrire la personnalité d’un individu n’a donc pas de sens, [2].

 

D’où vient la théorie de la dominance dans le relationnel humain-chien ?

 

Le concept de mâle alpha et femelle alpha a été introduit par le scientifique Rudolph Schenkel en 1947, suite à une étude menée sur des meutes de loups en captivité. Ce terme a ensuite été repris par David Mech, zoologiste qui a popularisé la théorie de la dominance dans son livre en 1970 « Wolf: the ecology and behavior of an endangered species ». A l’époque, on pense qu’il existe donc une hiérarchie linéaire au sein des meutes de loups, avec un mâle alpha dominant à sa tête, puis l’individu oméga, dominé par tous les autres.

Les conclusions basées sur ces anciennes études scientifiques ont été transposées au chien domestique. En suggérant que ce dernier, en descendant du loup, adopterait donc le même comportement dans son foyer avec l’humain. Ainsi, il tenterait constamment de le dominer pour occuper une position hiérarchique supérieure.

 

Pourquoi cette théorie ne marche pas ?

 

Chez les loups

Les connaissances en éthologie évoluent constamment. Les chercheurs ont d’ailleurs depuis longtemps abandonné cette théorie. C’est Mech lui-même qui a publié un article en 1999 la réfutant [4], après avoir passé une dizaine d’années à étudier les loups dans leur milieu naturel. Il explique alors que le terme « mâle alpha » est incorrect. Effectivement, il est plus juste de parler de couple reproducteur (vous pouvez d’ailleurs l’entendre revenir sur ses propos dans cet extrait d’interview).

On sait désormais que la meute de loups est un système familial, constitué des parents et de leur descendance. Les parents, qui vont guider leurs petits, occupent donc naturellement la place la plus haute dans la hiérarchie. Les plus jeunes se trouvent en bas de celle-ci. L’agressivité entre individus est rare. Elle apparaît surtout en cas de conditions extrêmes, lorsque la compétition pour les ressources est importante [6]. D’ailleurs, elle ne semble même pas être un indicateur de rang dans la hiérarchie [7].

 

Chez les chiens

En outre, de nombreuses études [1,2,3,5,6,8] nous montrent qu’elle fonctionne encore moins chez les chiens.

Tout d’abord, bien qu’ils aient un ancêtre commun, les chiens ne sont pas des loups ! Par rapport aux loups, les caractères génétiques, physiques et comportementaux (notamment sociaux et parentaux) des espèces canines actuelles ont été largement modifiés par le processus de domestication et la sélection génétique. Même pour les chiens féraux (vivants à l’état sauvage), la structure et l’organisation des groupes de chiens diffère de celles des loups.

Ensuite, jusqu’à preuve du contraire, humains et chiens n’appartiennent pas non plus à la même espèce ! Et, il n’y a qu’à reprendre les définitions même de la hiérarchie et de la dominance pour se rendre compte que d’impliquer de la dominance dans le comportement du chien envers l’humain est aberrant… De plus, les chiens savent qu’ils sont des chiens, et ne voient pas les humains comme des semblables. Ce rapport de dominance n’a donc pas lieu d’être dans notre vie quotidienne avec nos petits compagnons !

Enfin, les chiens n’ont pas la notion de hiérarchie comme nous l’entendons. En l’état actuel des connaissances en cognition, nous ne pouvons pas dire qu’ils soient en mesure de conceptualiser la notion de « statut » social.

 

Comment ces idées reçues peuvent-elles nuire à la relation avec notre chien ?

 

Pourtant démenties depuis 25 ans, ces croyances persistent malheureusement toujours actuellement dans nos rapports avec nos chiens. Elles continuent d’être véhiculées, aussi bien par des particuliers que des professionnels.

  • Le modèle de « famille-meute » et de hiérarchie est encore enseigné dans certaines certifications et formations du milieu canin. Les discours de certains professionnels en comportement et éducation canine vont donc toujours dans ce sens (d’où l’importance de bien choisir son éducateur canin !)
  • Ironiquement, c’est surtout le propre de l’homme de vouloir tout contrôler et de se placer au dessus de toute espèce vivante. Il faut bien l’admettre… mais il serait peut être temps de changer les mentalités, non ?

Le vocabulaire que nous employons et les croyances que nous projetons sur nos petits compagnons sont la plupart du temps très anthropomorphiques. Cela va directement influencer notre état émotionnel et la manière de nous comporter à leur égard. Il en va de même pour la théorie de la dominance. Parmi toutes les étiquettes que l’humain attribue au chien, c’est surement celle de « chien dominant » qui cause le plus de dégâts dans la vie de nos poilus ! Et pour cause …

 

Elle entraîne l’utilisation de méthodes coercitives

 

Comme le soulignent plusieurs auteurs, le concept de dominance est généralement utilisé pour justifier l’emploi de méthodes d’éducation canine coercitives [1,2]. En effet, si on perçoit le chien comme une menace qui cherche à nous dominer, et qui n’obéit qu’à un « alpha », alors il faut tout faire pour le soumettre et lui montrer qui est le chef. Et comment procéder pour prendre le contrôle ? En utilisant la force et la peur bien sûr ! C’est d’ailleurs de là que viennent tous les fameux « conseils » de type :

  • Le chien doit manger après son maître
  • On doit pouvoir mettre les mains dans la gamelle d’un chien sans qu’il ne grogne
  • Le chien ne doit pas franchir la porte en premier
  • Il faut interdire le chien de monter sur le canapé et sur le lit
  • Il faut que l’humain se positionne en chef de meute dès l’arrivée du chien dans la famille
  • Votre chien n’obéit pas ? Prenez-le par la peau du coup et retournez-le sur le dos (aka l’« alpha roll ») !

STOP ! Et si on arrêtait une bonne fois pour toute d’appliquer tout ça ?

Là aussi, il a été largement prouvé que les méthodes coercitives sont contre-productives, en plus de nuire fortement au relationnel avec l’humain et au bien-être de l’animal [1,2] ! Pour plus de détails à ce sujet, je vous invite à lire cet article sur les méthodes d’éducation canine.

 

Elle donne une vision erronée des comportements canins réels

 

Les comportements de nos chiens peuvent être la réponse à un besoin, l’expression d’une communication, le reflet d’un état émotionnel, ou encore la conséquence d’un apprentissage. Interpréter ces comportements sous le prisme de la dominance, en plus d’être incorrect, c’est passer à côté de leur réalité.

  • Non, un chien qui grogne n’est pas dominant : il communique ! Il peut défendre sa nourriture, montrer une douleur, exprimer son inconfort et son non-consentement a un contact physique …
  • Non, un chien qui tire en laisse et veut toujours être devant n’est pas dominant : il peut être pressé de sortir (ses besoins sont-ils comblés ?), être fortement attiré par une odeur, ne pas être habitué à la marche en laisse/longe ou cette dernière est trop courte …
  • Non, un chien qui monte sur le canapé n’est pas dominant : il utilise simplement une ressource disponible, un endroit qu’il trouve surement plus confortable que son panier, ou bien peut-être qu’il recherche simplement la proximité avec son humain…

Au final vous l’aurez compris, tirer la conclusion que le chien est dominant parce qu’il fait telle chose, c’est un peu (très) limitant ! Or, cette mauvaise compréhension des comportements canins par l’humain est souvent à l’origine de problématiques dans la cohabitation !

 

Changer sa vision

 

Préférez-vous voir votre chien comme un concurrent avec lequel vous entretenez un rapport de force en permanence, ou comme un partenaire de vie, avec qui vous pouvez communiquer et coopérer ?

Un chien qui n’obéit pas au doigt et à l’œil, et sur lequel vous n’avez pas le contrôle en toute circonstance, ne fait pas de vous un humain soumis. Pas plus qu’il ne fait de votre chien un chien mal éduqué !

Les relations hiérarchiques entre chiens ou avec les humains ne sont pas basées sur une constante lutte de pouvoir. Ce sont des dynamiques sociales plus complexes et spécifiques à chaque situation. Dans les interactions entre le chien et son humain, se sont majoritairement les expériences passées et le contexte qui déterminent les comportements et réponses futures [1].

C’est pourquoi il est dans un premier temps important d’apprendre à analyser la situation dans son ensemble. Afin de comprendre réellement les motivations derrière les comportements de votre chien (et pouvoir agir en conséquence). En changeant notre façon de penser, il est possible de mettre en place une relation bien plus sereine et harmonieuse avec nos petits compagnons ! Faire appel à un comportementaliste vous aidera dans cette démarche.

 

Vous rencontrez des problématiques avec votre petit compagnon ? Vous souhaitez mieux le comprendre et établir une belle relation avec lui ? N’hésitez pas à me contacter pour qu’on en discute ensemble !

 

 

Bibliographie

[1] Bradshaw, J. W., Blackwell, E. J., & Casey, R. A. (2009). Dominance in domestic dogs—useful construct or bad habit? Journal of Veterinary Behavior4(3), 135-144.

[2] Bradshaw, J. W., Blackwell, E. J., & Casey, R. A. (2016). Dominance in domestic dogs—A response to Schilder et al.(2014)Journal of Veterinary Behavior11, 102-108.

[3] McGreevy, P. D., Starling, M., Branson, N. J., Cobb, M. L., & Calnon, D. (2012). An overview of the dog–human dyad and ethograms within itJournal of Veterinary Behavior7(2), 103-117.

[4] Mech, L. D. (1999). Alpha status, dominance, and division of labor in wolf packsCanadian journal of zoology77(8), 1196-1203.

[5] Payne, E., Bennett, P. C., & McGreevy, P. D. (2015). Current perspectives on attachment and bonding in the dog–human dyadPsychology research and behavior management, 71-79.

[6] Schilder, M. B., Vinke, C. M., & Van Der Borg, J. A. (2014). Dominance in domestic dogs revisited: Useful habit and useful construct? Journal of Veterinary Behavior9(4), 184-191.

[7] Van der Borg, J. A., Schilder, M. B., Vinke, C. M., & De Vries, H. (2015). Dominance in domestic dogs: a quantitative analysis of its behavioural measuresPLoS One10(8), e0133978.

[8] Van Kerkhove, W. (2004). A fresh look at the wolf-pack theory of companion-animal dog social behaviorJournal of Applied Animal Welfare Science7(4), 279-285.